INFRACTION DE PÊCHE DE NUIT : OU EN EST-ON ?
Par Mickaël LE POURSOT
Un peu d'historique
Le décret du 10 novembre 1994 du Code Rural fixait je cite : « le préfet peut autoriser la pêche de la carpe à toute heure dans les parties de cours d’eau ou les plans d’eau de deuxième catégorie et pendant une période qu’il détermine ». Un décret qui à l’époque était porteur des plus grands espoirs, espoirs qui malheureusement ne se sont pas concrétisés. Encore peu de secteurs par rapport à l'étendue du domaine public sont autorisés de nuit, le tout accompagné d’une législation des plus « simples » (juste sur certaines dates ou époques, délimitation par des lieux-dits que seuls les pêcheurs locaux, et encore ! !, peuvent connaître, etc...) et de sites souvent plus propices au camping qu’à la pêche. Voire même se faire braquer son matériel.
Les risques réels encourus
En cas de constat de pêche en dehors des horaires légaux, vous risquez tout d’abord une amende de troisième classe. En fait, vous aurez à payer deux amendes. Une civile demandée par la fédération départementale, dont le montant, d’après ce qui m’a été communiqué varie de 300 à 1300 F (La Fédération du Haut-Rhin nous annonce 400 F alors que celle de Seine et Marne demande 1300 F). Autant se trouver dans le « bon » département ! ! Et une amende pénale fixée par le Tribunal de Grande Instance (et qui là aussi va varier selon les endroits) et qui sera payée aux Services de la Navigation, à la DEE ou la DDAF selon les départements. En plus de ces amendes, vous risquez (article L. 237-10 du code rural) la saisie de votre matériel et même des véhicules qui vous ont servi à vous rendre sur le lieu de votre infraction (automobile, bateau, vélo...). Cette saisie n’est pas obligatoire car en cas d’infraction de nuit avec des engins de pêche « légaux », il est bien précisé que l’agent qui constate l’infraction PEUT saisir le matériel. Tout dépend de l’état d’esprit et du bon vouloir de l’agent. Un PV de saisie dressant la liste du matériel confisqué est établi par le garde et ce matériel est mis sous scellé au Greffe du Tribunal de Grande Instance. Vous pourrez ensuite redemander sa restitution auprès du Tribunal, car les cannes à pêche ne sont pas des engins prohibés.
Ce qui me choque dans les peines que je viens d'énoncer précédemment, c'est la variation possible d'un lieu à l'autre. Dans certains départements vous risquez de payer à peine 500 F; alors que dans d'autres vous risquez pas loin de 3000 F d'amende, le tout accompagné d'un retrait de matériel. Pourtant, quand je pose la question de savoir s'il existe une quelconque tolérance quand le pêcheur en infraction respecte la nature et est courtois vis à vis du garde, la brigade de l'Essonne répond : "LA LOI EST LA MÊME POUR TOUS". Et à la question de savoir si la peine encourue est la même selon les personnes qui constatent l'infraction (gardes pêche, gendarmes...), la brigade de l'Essonne me répond "quelque soit la personne compétente qui relève les infractions, ce sont les mêmes textes du code rural, donc les mêmes peines."; la Fédération de Seine et Marne me dit "les articles du Code Rural sont les mêmes, donc il ne peut y avoir de différence."; enfin la brigade départementale du Loiret m'écrit : "oui. Le Code Rural est unique." Alors, comment se fait-ce que la peine ne soit pas la même quel que soit le département français. Le Code Rural est lui le même partout en France. Il faut qu'on m'explique, car il y a quelque chose que je ne comprends pas...(à moins que je ne sois bête, mais sans prétention, je ne pense pas).
Venons-en maintenant aux personnes qui sont habilitées à vous contrôler :
1- Les gardes du Conseil Supérieur de la Pêche
2- Les ingénieurs du génie rural, des eaux et forêts, les ingénieurs des travaux et les agents qualifiés chargés de la police de la pêche dans les directions départementales de l’agriculture et de la forêt, les ingénieurs et agents qualifiés des services de la navigation, commissionnés à cet effet par décision ministérielle et assermentés
3- Les ingénieurs en service à l’Office national des forêts assermentés à cet effet
4- Les gardes champêtres
5- Les agents de l’Office national de la chasse commissionnés à cet effet
6- Les Forces de l'Ordre (Police ou Gendarmerie)
7- Les Gardes particuliers des fédérations ou des AAPPMA quand vous êtes sur leurs secteurs
Voilà donc en théorie ce que vous risquez à pêcher de nuit hors secteur.
Je tiens à préciser que toutes les réponses que j’ai obtenues sont de nature très théorique, toutes fondées sur le Code Rural et qu’aucune ne fait part d’exemples concrets. Certaines brigades et fédérations ont aussi tenu à préciser qu'il n'y avait pas d'acharnement envers les pêcheurs de carpes: la Brigade Rhône-aval du CSP nous précise "Toutefois, si cela peut vous rassurer, sachez qu'aucun acharnement n'est mis en oeuvre localement à l'encontre des carpistes". En revanche il m'a été impossible de savoir avec exactitude comment les gardes décident des actions qu'ils mènent la nuit: la Brigade du Loiret nous dit simplement: "Notre fonctionnement reste confidentiel" et les autres réponses à cette question (quand elles existent) sont très évasives. De même, le nombre de procès dressés pour pêche de nuit, ainsi que leur montant, sont bien souvent tenus pour secret d'état : le Président de la Fédération de Seine et Marne m'écrit : "En Seine et Marne, les procès verbaux établis ont un caractère confidentiel à la fois numérique et nominatif. Ils ne sont pas portés à la connaissance des AAPPMA locales de façon à ce qu'ils ne fassent pas l'objet de divulgation sur la place publique. Il en est fait assez régulièrement mais je ne répondrai pas à votre 6ème question."...voilà une phrase qui résume bien toutes les difficultés à savoir les risques exacts encourus quand on fraude et tous les tabous que l'on perdure autour de ce sujet!!!
QUAND LÉGISLATION RIME AVEC ABERRATION
Comment à l’aube du 21eme siècle peut-on encore gouverner un loisir avec des lois aussi obsolètes ? ? ? Le monde de la pêche est le seul je crois où la législation n'évolue pas, alors que pourtant les techniques de pêche, l’esprit et la technologie ne cessent de progresser.
Ainsi, il est aberrant que dans un pays prônant les Droits de l’Homme et la Liberté de chacun, on ne puisse pêcher en toute légalité la nuit comme le jour en remettant le poisson à l’eau et en ayant pour seul souci d’être tranquille dans la nature sans rien demander à personne. Après tout, il vaut mieux aller se saouler au café du coin, ça c’est légal !
Aberrant, qu’à l’occasion d’une émission télévisée (Destination Pêche du 15/07/2000 sur France 3), un garde du CSP puisse nous présenter la pêche au filet la nuit dans le marais Poitevin, nous dire que c’est légal au moyen d’un timbre supplémentaire et surtout nous dire qu’il est dommage que cette pêche soit en voie d’extinction car seules quelques personnes âgées la pratiquent encore assidûment et que les jeunes ne s’y lancent pas !
Les jeunes rêvent aussi de pêcher de nuit, mais sans engins archaïques et en respectant le poisson !
VIDANGEZ PLUTÔT VOTRE VOITURE
Aberrant la réglementation intérieure de certaines AAPPMA (qui je le rappelle pour celles qui l’auraient oublié ont pour principal objectif la gestion du domaine pisciaire PUBLIC). En effet, dans le règlement intérieur de certaines d’entre elles, il est prévu une amende bien plus forte pour une pêche de nuit non autorisée (1000 F + 200 F par canne en action, soit 1800 F pour un pêcheur à 4 cannes) alors que le non-respect des tailles pour les carnassiers ou une attitude agressive envers un garde ne vous coûte que 500 F, et une vidange de voiture le long des berges que 1000 F. Bref, il vaut mieux ne pas respecter la nature ou un garde plutôt que de pêcher la nuit et remettre le poisson à l’eau ! nous ne vous incitons ni à l'un ni à l'autre mais l'echelle des sanctions est pour le moins étonnante.
Aberrant que l'on puisse laisser sans broncher des gens déverser de l'acide
dans nos rivières (affaire CELLATEX où les employés mécontents ont déversé 5000 L d'acide dans un affluent de la Meuse), que les associations de pêche et collectivités locales ne se portent pas aussitôt partie civile et surtout que les politiques
(et particulièrement les partis soi-disant " ecologiques ") ne semblent pas s'indigner de telles pratiques, alors que les pauvres pêcheurs (qui même pour les plus vilains d'entre eux ne causeront jamais autant de dégâts envers la nature) sont traités comme des criminels (jusqu'à devoir passer devant un tribunal) pour simplement avoir pêché de nuit des poissons qui seront en plus remis à l'eau en parfaite santé ! Le carpiste et plus généralement le pêcheur perçu comme une menace, laissez moi rire...ou pleurer.
Aberrant que l’on doive payer une amende, en plus de celle à la fédération, à des instances comme la Navigation ou la DDE, instances qui jamais n’œuvrent dans l’empoissonnement de nos rivières ! En plus, est-il réellement utile de surcharger les Tribunaux avec des histoires de pêche de poissons remis à l’eau alors que l’on met, faute de place, déjà plusieurs mois, voire plusieurs années, avant de pouvoir juger des délits bien plus graves ?
Tous les carpistes méritent-ils la pêche de nuit?
Accabler la législation, c'est bien. Mais il faut aussi se placer de son côté et des gens qui la créent. Je n'ai pas pour habitude de juger un parti sans juger son adversaire. Et il faut quand même bien avouer que beaucoup de carpistes ne sont pas tout "roses" et qu'il y a beaucoup à dire quant à leur comportement. En effet, bien des secteurs de pêche de nuit se transforment en dépôt à ordures. Ce n'est pas parce qu'on ne vient pêcher sur un secteur qu'une fois de temps en temps que l'on est autorisé à partir sans ses ordures. Sans parler du non-respect des pêcheurs locaux, que ce soit dans les gestes (lignes tendues à des distances hallucinantes, non-respect des postes déjà en place...) ou dans les paroles (aucune courtoisie et politesse, voire même insultes...). De même, sous prétexte que la pêche de nuit est autorisée, certains pêcheurs en oublient la discrétion. Ainsi, le week-end dernier, je suis passé sur un secteur en bord de Moselle. Sur ce secteur de trois cent mètres de long, se trouvaient pas moins de huit batteries, ce qui est déjà beaucoup. En effet, parquer huit pêcheurs minimum tous les week-ends sur trois cent mètres de berges engendre obligatoirement une détérioration du site, même s'ils sont respectueux. Bref, revenons à nos moutons. Sur ces huit pêcheurs, il y avait le top des tops, Z’y over the top en quelques sortes. L'un d'entre eux avait carrément planté son "chapiteau" de jardin, vous savez les grandes tentes blanches de trois mètres de haut et d'une surface de 25 m2, et en dessous il avait installé son canapé et ses fauteuils, ainsi qu'une télé de 55 cm d'écran, bref son salon. A côté se trouvait son van où il devait dormir. Le tout accompagné, sur le chemin de hallage, d'un foyer de feu d'au moins un mètre de diamètre où jonchaient plein de bouts de verre et boites de conserve!
Quand je vois de pareils comportements, je suis dépité. D'un côté on se bat pour obtenir une pêche de nuit nationale en jouant sur l'aspect sauvage de notre passion, de l'autre certains carpistes gâchent tout. Imaginez qu'un garde ou une personne de la Fédération passe à ce moment. Que va-t-il penser des pêcheurs de carpe? Surtout que c'est toujours ce type de pêcheurs (si on peut encore parler de pêcheurs) que l'on voit. Les plus cachés et respectueux sont invisibles.
Pour que les Fédérations et les Instances législatives comprennent et voient ce qu'est réellement la pêche de la carpe, peut-être serait-il judicieux de prendre nos campements sauvages en photo et leur envoyer. Ainsi, elles se rendraient vraiment compte de nos objectifs et agissements. De même, dans notre demande de pêche de nuit nationale assortie d'un No-Kill intégral, nous devrions préciser dans les closes un respect entier de la nature et une discrétion obligée (qui passerait entre autres par l'obligation d'abri de couleur discrète, je ne dis pas abri carpiste car tout le monde n'a pas les moyens de s'offrir un biwy à 1000 ou 2000 F, mais une petite tente de couleur verte, voire bleue marine, est à la portée de toutes les bourses, même des plus jeunes ou pauvres d'entre nous).
Quant à leur faire comprendre l'ampleur de nos attentes, la manière douce proposée dans le site Internet http://perso.club-internet.fr/drennan (site que, soit dit-en passant, je trouve dans l'ensemble très bon car il a le mérite de rappeler les vraies valeurs du pêcheur de carpe face à la dérive actuelle) qui consisterait à ce que chacun d'entre nous envoie une fois par mois (ou mieux une fois par semaine) une lettre au CSP (et pourquoi pas à des ministères comme l'Environnement ou la Jeunesse et les Sports), lettre accompagnée pourquoi pas de la photo de nos campements bien fondus dans la nature, ne me semble pas du tout mauvaise. Ces différentes personnes, surtout celles des ministères qui ne sont pas souvent au courant des problèmes du monde de la pêche de loisir, pourraient se rendre compte à quel point nous sommes nombreux à être soucieux d'une pêche de nuit noble. Peut-être cela les inciterait à bouger.
RESPECTONS LES GARDES PÊCHE
Même s’ils vous surprennent la nuit, les gardes ne sont pas mauvais. Ils ne font que leur travail et répondent sans doute à certaines consignes. S’il est vrai que certains usent volontiers (voire un peu trop) de leurs pouvoirs, tous ne sont pas ainsi et la plupart peuvent nous comprendre. comme partout (et chez les carpistes aussi!) il y a des cons... mais pas plus qu'ailleurs. J’ai eu l’occasion, pour mon travail, de rencontrer deux gardes de la Délégation Régionale Champagne-Ardenne, Lorraine, Alsace du CSP quelques temps après avoir reçu leurs réponses, et j’ai pu m’apercevoir qu’ils n’étaient vraiment pas contre les PECHEURS DE CARPES les plus sauvages (oui, ceux qui se planquent et respectent la nature). Ce qui les agaçaient, c’était ces « CARPISTES » qui eux ne pêchent que pour le poisson et ne respectent rien, ni personne. Et il semble que ce soit le cas pour pas mal de gardes d’autres brigades. Ce qui veut dire que c’est à nous pêcheurs de leur montrer que même si on ne respecte pas la loi en pêchant la nuit, on respecte néanmoins le principal, c’est à dire la nature, le poisson et... les hommes, les gardes en premier lieu, car ça ne sert à rien (sinon à nous faire du tord) de les insulter en cas de constat d’infraction de pêche de nuit. Ce sont des hommes qui comme nous aime la nature et les poissons, nous sommes en tord (eh oui, c’est malheureusement la loi qui nous le dit) et de toute façon, notre salut ne passe que par la bonne volonté de la police de l’eau au moment du constat de l’infraction. Ce qui constitue plusieurs raisons de se montrer courtois envers les gardes pêche. De toute façon, ceci fait partie du savoir-vivre.
REMERCIEMENTS
Enfin, je préciserais que je me suis voulu plutôt dur et cynique (surtout dans les deux dernières parties de mon texte) car je rêve sincèrement du jour où nous pourrons assouvir notre passion en toute liberté et où les pêcheurs auront pour simple objectif Respect de la Nature, du Poisson et d’Autrui.
